Liberté


Liberté

Cette page blanche qui n’attend que mes mots. Les miens. Pas ceux d’un auteur de langue anglo-saxonne ou espagnole, non, eux ils ont déjà un temps de parole bien défini à mon pupitre.

Non, pendant une petite heure cette vaste étendue vierge est toute à moi. Je fais la première trace sur cette neige informatique.

Qui vais-je emmener dans mon sillage ? Où vais-je les mener, ces chers petits personnages ? Au début, je les aime bien, ils se plient à mes moindres désirs, mais passé un certain temps, ils s’animent d’eux-mêmes, les sacripants. Comme s’ils n’avaient plus besoin de moi. Voyez-vous ça ! Mais en même temps, ils m’obsèdent, s’immiscent jusque dans mon inconscient. Impossible de m’en défaire, à moins de coucher leurs vicissitudes sur le papier (enfin, l’écran pour être exacte).

Enfin, je dis ça comme si j’avais des milliers de personnages en stock, comme si je n’avais qu’à piocher pour écrire des histoires magnifiques. La réalité est tout autre. La réalité, c’est que je rêve.

Je rêve d’écrire de grandes sagas au souffle épique, dans des univers vastes et grandioses, avec des personnages si attachants que les lecteurs ne trouveront aucun repos tant qu’ils n’auront pas lu la dernière page de mon dernier tome. Oui, je rêve. Et si je me tire de ces songes, qu’ai-je sous les yeux ?

Un écran presque vide, et un dossier Écriture qui ressemble un peu au rayon frais du supermarché le lundi, quand la foule a déjà dévalisé les étalages pendant tout le week-end et qu’il ne reste plus qu’un ou deux yaourts nature qui se battent en duel. (Le P’tit Yoplait tire son épée de son fourreau. « En garde Danette, j’aurai ta peau ! ») Il y aurait bien de la place pour ajouter plein d’autres fichiers Word dans ce dossier, mais l’espace reste désespérément libre.

Un jour, j’ai lu quelque part « just show up ». Oui, parce que quand je ne rêve pas d’écrire des page-turners best-sellers, je lis des articles et des livres qui donnent des conseils pour écrire. J’en lis tellement que j’ai l’impression de tous les connaître par cœur. Jusqu’à aujourd’hui, j’étais plutôt dans la catégorie des « no show » comme on surnomme les clients qui ne se présentent pas à l’hôtel. Ils n’arrivent jamais. Où sont-ils ? Sur quels chemins de traverse se sont-ils égarés ? Nul ne le sait. On se contente de barrer leur nom sur le listing et on passe à autre chose. Et ce n’est pas en lisant ces satanés conseils que ma no-showite aiguë va se résoudre. L’un des meilleurs conseils était d’ailleurs le suivant « stop reading this stupid list and just write ».

Cela fait tellement longtemps que je n’ai rien écrit que je ne me souviens même plus de l’apparence de mon blog d’écriture… Je lance Firefox, je tape mon url (enregistrée automatiquement dans l’historique, tout de même je dois bien y aller de temps à autre). Aïe, ça pique les yeux. Non, je ne vais pas passer la demi-heure qui me reste à chercher un thème plus sexy. C’est précisément l’inverse de l’effet recherché. {Note a posteriori : cela m’a pris cinq minutes de rectifier le tir. WordPress, c’est bien quand ça marche.}

Autour de moi, je vois beaucoup de gens qui arrivent à écrire régulièrement, que ce soient des billets de blog ou des nouvelles, ou des romans. Et je dois être jalouse. Mais la jalousie ne me mènera à rien non plus.

Non, la seule solution que je trouve c’est de « show-up » comme le préconisait ledit conseil. Je me présente. Je suis là, maintenant, j’ai une heure. Voyons ce que je peux en tirer. Ces derniers temps, dès que j’écris l’ébauche d’un billet où j’explore ces sentiments ambivalents qui m’assaillent, je finis toujours par me demander : je publie ou pas ? Qui ça peut bien intéresser ?

Certainement que ce n’est pas la bonne question à poser. Le souci, c’est que tant que je ne publie pas, je ne peux pas espérer évoluer. Publier est essentiel dans le processus créatif (à mon sens). Si on ne publie, ça veut quasiment dire qu’on n’assume pas. Le but n’est pas d’intéresser les autres. Dans le fond, on aimerait tous que ce soit le cas, mais pour être plus terre-à-terre, cela permet simplement de faire quelque chose de sa production. D’aboutir. Finis les manuscrits au fond du tiroir. L’heure est au grand déballage. C’est loin d’être mon point fort, mais qu’importe, s’il n’y a que cela pour me faire avancer, je franchis le pas. {Note a posteriori : penser à la publication immédiate. J’ai rédigé ce texte il y a deux jours, et mon hésitation à cliquer sur Publier n’a fait que croître pendant ce temps.}

Ce n’est pas tout, mais l’heure tourne. Et la séance touche à sa fin. C’est un peu comme chez le psy, on s’interrompt, on se dit au revoir sans savoir quoi penser de ce qui a été dit ou de ce qui pourra l’être à la prochaine séance. Et quoi qu’il en soit, on y retourne. À la semaine prochaine.

 

Image de Kiran Foster