Le Roi emmitouflé


Le Président du Tribunal des Personnages de Fiction (TPF). — Nous sommes réunis en ce dimanche 23 octobre à 12h24 pour valider le personnage proposé par l’autrice Madame L. C. Madame, veuillez vous avancer.

L’autrice. — Alors oui, euh, je voudrais rectifier tout de suite, ce n’est pas vraiment moi qui propose ce personnage votre honneur. C’est surtout le fruit du hasard.

Le Président du TPF. — Oui, enfin vous cherchez à le valider, c’est bien cela ?

L’autrice. — Oui, c’est cela, votre honneur.

Le Président du TPF. — Alors, dans ce cas, peu importe son origine, vous vous en portez garante, vous comprenez ?

L’autrice. — Oui, votre honneur.

Le Président du TPF. — Bien, commencez par nous indiquer son nom.

L’autrice. — Il s’agit du Roi emmitouflé qui sentait le poisson.

Silence dubitatif.

Le Président du TPF. — Vous êtes sûre que c’est bien son nom ? Parce que moi, je vois plutôt un roi qui sent le bouc, Madame.

L’autrice. — Oui, je vous assure que c’est son nom, mais dans le fond, que ce soit du poisson ou du bouc, vous comprenez bien qu’il a un problème odoriférant. D’ailleurs c’est assurément pour cette raison qu’il conserve dans son château une salle entière remplie des parfums les plus délicats, du sol au plafond.

Le Président du TPF. — Bien, et que pouvez-vous nous dire d’autre sur ce personnage ? Jusqu’ici, c’est un peu léger.

L’autrice. — Eh bien, c’est qu’à l’heure actuelle, il est perdu dans la banquise.

Le Président du TPF. — Dans la banquise ? Mais il risque d’y mourir de froid.

L’autrice. — Je sais bien, votre honneur, mais heureusement pour lui, il est bien emmitouflé.

Le Président du TPF. — Mais Madame, avez-vous vu l’expression de son visage. Il est peut-être perdu, mais surtout malheureux, votre personnage. Ça saute aux yeux. Il est évident qu’il a envie de se démitoufler.

L’autrice. — Vous croyez cela votre honneur ? C’est plausible en effet. Je crois qu’il meurt d’envie de retourner dans la chaleur de la salle de bal de son château pour y travailler la danse à quatre temps qu’il a inventée.

Le Président du TPF. — Ah, parce qu’il danse, ce roi-là ?

L’autrice. — Oh oui, si vous saviez, avec une grâce et une agilité incroyables. Enlevez-lui sa grosse fourrure, et vous verrez comme il est délié !

Le Président du TPF. — Bien, Madame, au vu de ces éléments, nous allons nous retirer pour délibérer. Veuillez quitter la salle d’audience. Nous vous appellerons.

*****

Le Président du TPF. — Madame, levez-vous. En vertu du Code universel des personnages de fiction, j’ai le plaisir de vous annoncer que votre personnage, le Roi emmitouflé qui sentait le poisson, est présentement validé par notre instance. Il vous incombe à présent de l’étoffer, de lui trouver un foyer où il se sentira bien. Et surtout, le plus important, de faire connaître son histoire au reste du monde.

L’autrice. — Merci votre honneur.

Le personnage validé (à l’autrice). — Vous allez voir, avec moi, vous ne serez pas déçue du voyage.

Texte rédigé dans le cadre de l’atelier En roue libre sur la base d’un tirage de tarot illustré.

#AllSinners, meet Alma McCaffrey


Voici le personnage que je retiens finalement pour cette Tiwtter Fiction. Alma McCaffrey, ou Miss Alma. Elle est tenancière de bar, mais ce n’est peut-être pas sa caractéristique la plus importante…

— Ça sera comme d’hab, Miss Alma, entonna le poivrot qui venait d’installer son derrière de bon à rien sur le dernier tabouret du bar, celui tout près de la caisse.

Ah, encore un qui veut causer, encore un. Alma lui servit un picon-bière en silence. Le vieux Pierrot, elle commençait à le connaître, rien de bien menaçant, mais sa diarrhée verbale chronique tapait rapidement sur le système. Mieux valait ne pas alimenter le flot de paroles.

— Merci bien ! dit-il en levant son verre en direction de la patronne. Alors, z’avez vu ? Tout le monde en parle, non ? D’ailleurs, c’est p’tête pour ça qu’y a pas foule ce soir, hein ?

Lui aussi il veut parler de ça. Comme c’est original ! Alma s’empara de deux verres pour signifier qu’elle était plutôt occupée, pas vraiment disposée à se lancer dans une autre causerie inutile. Mais bon, on va le laisser parler un peu quand même. Après tout, c’est bien ça qui les fait revenir chez moi, au lieu d’aller trouver cette porte de prison irlandaise du Crying Raven.

— Ben, à la télé, dans les journaux, ils peuvent bien dire ce qu’ils veulent, ils sont déjà partis loin, eux. Ah ça pour annoncer la tempête y a du monde, mais tous les rats n’ont pas encore quitté le navire, pas vrai ? Sinon, on serait pas là toi, moi et les trois pékins qui comatent là-bas, dit Alma en pointant du menton trois silhouettes rabougries, visiblement imbibés d’alcools divers, variés et forts, ils ne comptaient plus ni les degrés ni les grammes.

— Vous croyez que ça va faire quel effet en ville ?

Pierrot restait prudent avec Miss Alma parce que quand on connaît son histoire, on sait qu’il vaut mieux l’avoir dans sa poche que dans son dos. C’est pas ce bon vieux Mimile, paix à son âme, qui aurait pu le contredire.

Pierrot se souvenait de cette époque, y a une vingtaine d’années. Il voyait encore le regard déterminé et la mine impassible de Miss Alma quand elle était sortie de sa garde à vue, libre de toute inculpation. Il faut dire qu’elle avait dû la jouer drôlement fine, avec les poulets. Oh, la flicaille de Yumington, c’était loin d’être le haut du panier, mais quand même, ils n’avaient trouvé aucun élément concret prouvant que c’était elle qui avait assassiné Émile, son cher et tendre époux depuis une bonne dizaine d’années. Il avait parfois la main lourde sur elle, et on ne comptait plus le nombre de fois où elle s’était pris la porte de l’armoire de toilette dans le coin de l’œil. Mais quand même, de là à ce que Mimile y reste…

C’est à partir de ce jour-là que tous les fidèles du bar s’étaient mis à l’appeler Miss Alma. Eh oui, pour s’enfiler la gnôle la plus forte et la moins chère de tout Yumington, il fallait faire les choses dans les règles de l’art. Sinon, dehors ! Le gros Brutus, véritable force de la nature, fruit de l’union improbable de Miss Alma et de sa victime, aimait jouer les videurs. Un simple sifflement de sa mère, et n’importe quel soiffard pouvait se retrouver salement amoché, le cul par terre sur le pavé humide de la rue de la Criée.

Après un long silence, Alma répondit :

— Eh ben, quelque chose me dit que ça va pas être joli joli. Il faut voir les types qui traînent dans le coin. On dirait qu’ils attendent que ça. Le moindre black-out, le plus minuscule vent de panique, et ce sera le début des hostilités. Enfin, moi ce que j’en dis…

— Z’avez p’tête bien raison, Miss Alma. Les charognards rôdent déjà dans les parages… Enfin, vous, vous avez Brutus avec vous pour vous aider en cas de coup de dur.

Miss Alma afficha une moue on ne peut plus dubitative.

— Mouais, on verra bien c’qu’on va voir.

Sur ces quelques mots, elle tourna le dos au comptoir, et accessoirement à Pierrot, pour se lancer dans son astiquage de verres quotidien.

Pierrot leva le coude pour finir son verre. Il posa un billet froissé et crasseux sur le zinc, puis tourna les talons à son tour. Un vent froid s’était levé cette nuit-là. Tous les habitants de Yumington ne parlaient que de cette tempête, et pourtant, ils étaient loin de s’imaginer ce qui allait vraiment leur tomber dessus.

All Sinners, première ébauche de perso


Armand Hobo, première idée pour la twittfiction All Sinners (non retenue au final)

Voilà trente-cinq ans que je traîne mes savates dans les quartiers huppés de Beach Bay. Mes savates, enfin ce qu’il en reste. Usées jusqu’à la corde, parties en lambeaux, je vais bientôt devoir mettre des sacs plastiques à la place pour pouvoir marcher sans trop m’écorcher. Enfin, c’est pas comme si j’avais les pieds sensibles. Corne et crasse, les meilleures défenses au monde contre les agressions extérieures.

Parfois, quand j’écoute le fond de mes pensées, j’ai du mal à comprendre comment j’en suis arrivé là. J’ai toutes les difficultés du monde à retrouver les sensations de mon passé, comment c’était avant la déchéance, le paradis perdu.

Jeune passionné de lettres enseignant à l’université de la capitale, un goût un peu trop prononcé pour les jeux d’argent. Mais à cette époque, tout le monde en voulait après l’argent, et les lettres, eh bien, inutile de dire que mon licenciement n’a pas tellement traîné. De fil en aiguille, viré par ma femme, de motel crasseux en motel pourri, j’ai encore survécu quelque temps à dormir dans ma caisse. Mais on me l’a tirée vite fait bien fait.

Et voilà qu’un soir, je me suis retrouvé là, le cul sur le bitume froid. Et rien que deux sacs de supermarché, un bouquin et trois bouteilles de gnôle pour me tenir compagnie. Aujourd’hui, c’est les mains vides que j’arpente les rues de la ville. Dans ce monde-là, les possessions vous exposent plus qu’autre chose.

Enfin, c’est bien beau de parler du passé et tout ça, mais il faut que je trouve quelque chose à me mettre sous la dent. J’ai comme qui dirait l’estomac dans les talons. La fouille de poubelle, ou détritusion, comme j’aime à l’appeler, est un art dans lequel je suis passé maître, par la force des choses.

D’abord, repérer les résidences les plus cossues, celles où les contenus mis au rebut ont le plus de chance d’être fastes et copieux. Ensuite, s’assurer qu’il n’y a aucun témoin. Cette activité n’a rien d’illégal, mais les officiers de la police de Beach Bay ne sont pas vraiment fans. Sans parler des passants qui seraient capables de vous dénoncer. Mais le pire, ce sont les collègues, ceux qui comme moi n’ont absolument plus rien. Au mieux ils viendraient me parasiter, manger sur mon dos, et sinon, ils seraient tout aussi capables de me mettre au défi pour récupérer le précieux butin. On raconte que certains y sont passés de cette façon. Bagarre en bonne et due forme autour d’une poubelle ventripotente.

Une fois que la voie est libre, il faut faire preuve de méthode pour travailler vite et bien. Un coup d’œil global pour juger des zones les plus riches du conteneur. Parfois, le fond ne recèle rien de bon, inutile de s’embêter à tout défaire. J’attaque souvent par les côtés, ce qui permet d’atteindre une certaine profondeur sans perdre trop de temps à la surface.

Passons les détails techniques. Deux ou trois poubelles plus tard, j’avais trouvé de quoi calmer mon estomac, juste assez pour aller retrouver Hillbilly. Il était, comme à son habitude, étalé comme une crêpe à côté du salon de thé le plus chic de la ville. Les bourgeoises qui y avaient leurs habitudes finissaient rarement leurs assiettes. Si on veut être mince comme toutes ces starlettes de Dolltown, quelques privations ne sont pas si chères payées.

— Alors, Hobo, quoi de neuf ?

— Oh, rien de plus qu’hier et rien de moins que demain.

— T’as trouvé de quoi aujourd’hui ?

— Pour le ventre oui, mais pour la tête, pas vraiment. Pas lu une seule ligne aujourd’hui, dis-je d’un air dépité. Et toi ?

— Moi, c’est bon sur tous les tableaux. Tu veux que je t’en donne un bout ?

— Carrément. Qu’est-ce que t’as aujourd’hui ?

— Les trois premières pages du Yumington Post.

J’écarquillais les yeux.

— Vraiment ! Excellent. Fais voir, fais voir.

Hillbilly me tendit un papier chiffonné qui de loin aurait ressemblé à un truc informe, mais l’encre noire se détachait clairement sur le fond blanc. On pouvait y lire des articles entiers.

Je parcourus les gros titres.

— Et toi tu ne me dis rien ? C’est marqué là, en énorme : UN OURAGAN ARRIVE, TOUS AUX ABRIS et toi, tu pipes pas un mot ?

***

Image de Franco Folini