Éclats


P1290770

« L’une des premières choses que je vois quand je me lève, c’est cette statuette, ma statuette. Posée sur un guéridon près de la fenêtre, je dois la contourner pour passer de la chambre à la salle de bains.

Quand je m’assieds au bord de mon lit en m’étirant, c’est elle que je vois. Ses reflets d’or jouant déjà avec les premières lueurs du jour. Éblouie, j’ouvre les yeux un peu plus grand, je me lève et je contourne soigneusement le guéridon de ma statuette, celle qui m’évoque de l’or solidifié. Une fois repue de son éclat, la journée peut commencer. »

***

« Chaque soir, c’est la même histoire. Il faut toujours que je me prenne les pieds dans le guéridon de cette satanée statuette. Cette espèce de gros tas doré rococo qui encombre la chambre et m’a valu quelques foulages d’orteils dont je me souviens encore.

L’idée m’a parfois effleuré de la faire disparaître du jour au lendemain. Juste effleuré. Je devine trop bien sa réaction. Étant la maîtresse de maison autoproclamée, et moi n’étant que le gentil mâle gagnant la croûte pour la famille, je n’ai pas mon mot à dire sur tout ce qui touche à la déco. Ah, si ! Quand il s’agit de déplacer du mobilier lourd, alors là, je peux intervenir.

Les jours se suivent et rien ne change, si ce n’est que je passe de plus en plus de temps au travail. Qui sait où cela va nous mener ? »

***

« Aujourd’hui, nous sommes allés aider Patricia qui déménageait. Bien triste journée. On est loin des déménagements guillerets de nos jeunes années, où nous quittions le domicile familial pour acquérir notre indépendance et conquérir le monde. Non, à présent, ces remue-ménage tiennent plus des traits que l’on tire sur un pan de notre passé. La maison devenue trop grande maintenant que les enfants sont partis, la transition vers une surface plus modeste en raison d’un licenciement, ou bien, comme c’est le cas de Patricia, la division des biens liée à un divorce. Nous avons ressenti sa tristesse de quitter les lieux.

À un moment, elle s’est même effondrée en larmes, tenant entre ses mains les bris d’une grosse statuette dorée. Ce sont les aléas de tout déménagement, mais nous avons bien saisi que cet objet avait une valeur toute particulière pour elle.

Nous l’avons laissée au calme quelques instants. Puis, quand elle est reparue, son regard était chaleureux, comme si elle s’était décidée à trouver une nouvelle statuette qui remplacerait l’ancienne, et la surpasserait peut-être même. »

Photo et statuette de Véronica Correa

Texte rédigé dans le cadre de l’atelier En roue libre.