K-Paradox, twittfiction de laboratoire


KaneHX

K-Paradox est la dernière twittfiction orchestrée par ce génie de Jeff Balek.

Nous étions 14 patients à nous faire injecter des nanobots au cours d’une expérience organisée par la Kane HX Foundation. Pendant trois jours,  nous avons partagé nos impressions.

Voici les miennes, celles du patient numéro 4.

JOUR 1

Ce matin, Mary Wonder, trop belle pour être honnête, m’explique comment ça va se passer.

Selon elle, on est des happy few, on a de la chance de participer à l’expérience.

Il ne lui viendrait pas à l’esprit qu’on s’en branle et qu’on fait ça seulement pour le fric.

Sous son sourire de façade, je décèle une pointe d’angoisse, au coin de la prunelle.

Injection du liquide noir. Un tel produit peut-il être réellement inoffensif ?

Recèle-t-il vraiment ces bijoux de nanotechnologie tant vantés ? Si oui, que font-ils ? Qui les contrôle ?

Je n’y ai rien vu qu’une sorte de bouillasse ressemblant à une nappe de pétrole.

Marée noire dont les effets sur mon organisme sont encore inconnus.

Après le déjeuner passablement appétissant, léger malaise. À force de fixer l’écran, vertige.

Je perds toute notion d’espace. Le haut, le bas, tout valse.

L’infirmier chauve met du temps avant d’arriver à la rescousse. Rien à signaler selon lui.

La chaleur est étouffante dans cette pièce, en fait, c’est pire qu’une prison, silence de plomb.

Pourtant, y en a bien d’autres, des rats de labo comme moi. Je les ai croisés aux repas.

Pas un seul à inspirer confiance. Le repli sur soi-même semble être la meilleure option.

Ce face à face avec moi-même ne m’enchante guère. Peur que ça finisse encore plus mal que les autres fois.

Je crois que je vais m’endormir d’ennui. Ou alors somnifères intrégrés dans les nanobots ?

S’il y en a qui lisent encore ces lignes, bonne nuit.

J’espère que vos cauchemars seront plus doux que les miens.

Avant de fermer les yeux, je me dis qu’il est bien étrange que la chambre adjacente porte le numéro 13.

JOUR 2

Sept heures. Je me sens fourmiller de toutes parts. Je regarde mon bras et j’y vois…

des centaines de petites boules qui vont et viennent sans arrêt, roulent sous ma peau, mouvement perpétuel.

Réveil. Je scrute mon corps sous toutes les coutures. Rien à signaler.

Un mal fou à me concentrer. Même pour écrire ces quelques bribes. Ici, tout est vide.

La chambre, les regards que je croise… Ça me donne le vertige.

J’ai tellement galéré à me débarrasser de son souvenir. Voilà qu’il ressurgit.

Son regard délavé, devenu transparent au moment de se figer pour l’éternité.

Revenu pour me hanter. Je sais que j’aurais pas dû le laisser seul, mais qui aurait pu imaginer ça ?

Se ruiner la santé à coup de substances plus nocives les unes que les autres, passe encore.

Mais s’en prendre à sa propre vie ! Point final irrévocable. Sans un mot. Juste le néant.

Chaque jour qui a suivi, j’ai lutté pour trouver une bonne raison d’être encore là, moi.

Moi, et pas lui.

Ne plus y penser. Tourner son esprit vers le positif, le beau… La beauté fascinante de son regard.

Longtemps oscillé. C’était soit un acte héroïque, soit une connerie complètement minable.

L’obsession revient, impossible de m’en détourner.

Je sais pas ce qu’ils foutent ces nanobots, mais hors de question que ça foute en l’air mes 5 ans d’analyse.

Soudain, je les sens. Les petites boules, elles s’activent encore. Tour de mon imagination ? Réalité ?

J’ai l’impression qu’ici, mes pensées prennent corps. Envie de m’échapper.

J’émerge péniblement d’un black-out total. Combien de temps suis-je restée sans connaissance ?

Devant mes yeux, la chambre danse dans le flou, vagues de couleurs se diluant les unes dans les autres.

Au bout de quelques minutes, je discerne un visage. Une femme.

Elle m’observe depuis la porte de ma cellule. Ses yeux hallucinés et injectés de sang lancent des éclairs.

C’est Mary Wonder, mais on dirait qu’elle a morflé depuis hier. Disparu le sourire rassurant.

Son regard féroce est rivé sur moi. Sa bouche semble articuler une suite de sons gutturaux répétés.

Incantation murmurée qui me transperce de part en part. La chaleur de la pièce est insoutenable.

Je vois des flammes jaillir de mon abdomen. Mais qu’est-elle en train de me faire ?

Et ces insupportables boules qui roulent toujours sous ma peau.

Elles criblent mon corps de points incandescents. Dans un élan désespéré, je souffle dessus. Je m’époumone.

Rien à faire.

Quand je lève les yeux, la diablesse a disparu. Je suffoque. Cette expérience aura ma peau.

JOUR 3

Mes paupières sont collées. Depuis combien de temps suis-je enfermée ici ? Une éternité à mes yeux.

Je ne me souviens avoir vu personne aujourd’hui. Hagarde, j’interromps subitement mon train de pensée.

Un grondement titanesque se fait entendre. Les lumières vacillent et puis plus rien. Noir. Glauque.

Je perçois quelques cris d’effroi dans les pièces adjacentes. Certains de ces sons n’ont rien d’humain.

Un vacarme tonitruant envahit le labo. J’entends une vague démesurée qui déferle sur nous sans merci.

L’eau arrive en un jet puissant qui envoie tout valser. Tables, lits, toilettes. Et les corps, en pièces détachées.

Le courant est d’une puissance indescriptible, au-delà de tout ce que l’on pouvait redouter.

En l’espace d’une minute à peine, je suis trempée, submergée, noyée. Inutile de lutter.

Ces flots nous engloutissent comme si une force supérieure voulait faire disparaître cette expérience contre nature.

Qu’ont-ils fait de nous ? Malgré ma noyade, mon esprit est en ébullition. Je suis encore là. Comment ? Pourquoi ?

Quelles créatures Rob Kane a-t-il ainsi engendrées ? Quel sort nous réserve-t-il ?

Les réponses tarderont, si elles arrivent un jour, j’en ai bien peur.

Je profite de ce qui pourrait être mes derniers instants de conscience pour saluer mes proches et amis.

Tout est perdu, mais ne vous en faites pas. Une nouvelle ère surgira et nous nous retrouverons.

Découvrez celles des autres patients là.

J’essaie de tenir la liste à jour mais faites-moi signe s’il y a des oublis.

Patient numéro 2 aka Dzahell

Patient numéro 5 aka 16ames

Patient numéro 6 aka Lilian PCB

Patient numéro 9 aka Yoonsky

Patient numéro 13 aka HX Lemonnier

Patient numéro 14 aka Albafica

Découvrez le projet dans son intégralité à cet endroit.

Bonnes lectures !

Hellsgate


Hell

Connie ouvrit la porte de son bureau pour faire face aux cinq candidats qui patientaient dans l’entrée. Dans une main, elle tenait un grand frappuccino fumant estampillé Starbucks, et dans l’autre un dossier sur lequel elle avait écrit la chronologie de sa journée.

— Monsieur Thoratsa ?

Elle balaya l’assistance d’un air détaché et vit un homme de belle stature se lever et lui adresser un sourire ravageur. Encore un qui se prend pour le roi du pétrole, songea-t-elle. On va le remettre en place, et bien comme il faut. D’un pas souple, l’homme entièrement vêtu de noir s’avança vers elle pour lui serrer la main. Elle le fit ensuite entrer dans son espace de travail étriqué.

— Bonjour Monsieur, bienvenue chez Hellsgate Company. Asseyez-vous. Pour commencer je vous propose de vous présenter simplement, nom, prénom, âge etc.

— Ah, dit l’homme en noir, un large sourire en coin. On commence par le plus difficile. Mon nom, il se trouve que j’en ai eu beaucoup au fil du temps. Belzébuth, Astaroth, Lucifer, Bélphégor, Méphistophélès… Appelez-moi simplement Belzé, ce sera plus simple.

Il ponctua sa phrase d’un sourire tout droit sorti d’une publicité pour dentifrice blanchissant.

Pour  ce qui est de l’âge, reprit-il, vous vous imaginez bien que le chiffre que je vais vous donner ne vous avancera guère. Croyez-moi ou pas, mais je suis vieux comme le monde.

Connie avait du mal à croire à un tel toupet. Pour un entretien d’embauche ? Les candidats ne savaient vraiment plus quoi inventer pour attirer l’attention.

— Non, mais vous vous moquez de qui, là ?

La grande silhouette sombre qui s’était installée en face d’elle ne bougeait pas d’un iota. L’homme plongea son regard noir, insondable dans les yeux écarquillés de Connie. Elle avait cru voir un flash, l’espace d’un instant. Alors qu’ils ne se quittaient pas des yeux, le candidat laissa sa main s’attarder au-dessus du frappuccino de Connie.

Elle en sirota une gorgée, et elle commença à se détendre, voyant les choses d’un autre œil. Un peu m’as-tu-vu celui-là, peut-être, mais vu son aplomb et son extravagance, elle se dit : « Voilà quelque chose qui peut être divertissant finalement. Voyons s’il tient la route jusqu’au bout ! »

— Bien, poursuivons. Parlez-moi un peu de votre parcours.

— Alors, pour vous la faire courte, voilà ce qui m’est arrivé. J’avais trouvé le poste idéal, le job dont tout le monde rêve. Et le pire, c’est que je me débrouillais carrément bien, j’étais très fort dans ce que je faisais. Seulement un jour, le boss a décidé de me virer. Et il n’y est pas allé de main morte. Je ne vous cache pas qu’on ne s’est pas vraiment quittés en bons termes. Et c’est là que j’ai monté ma propre boîte. Après tout, on n’est jamais mieux servi que par soi-même, pas vrai ?

Connie restait bouche bée. Le magnétisme de son interlocuteur la gagnait progressivement. Elle buvait ses paroles tout en sirotant son frappuccino. Décidément, voilà quelqu’un qui gagnait à être connu.

Mais bon, poursuivit-il, après quelques milliards d’années de bons et loyaux services dans ma boîte, j’ai pensé qu’il était temps de passer à autre chose. Sortir un peu de la routine, monter à la source. Vous voyez, jusqu’ici, je ne m’occupais que du traitement des damnés, ce qui a aussi son intérêt, me direz-vous.

— Vous voulez parler des données, n’est-ce pas ?

— Oui, appelez ça comme vous voulez, mais je crois que je m’en suis lassé. Accueillir les gens, les torturer pendant le temps marqué au fer rouge sur leur postérieur et puis les balancer dans la fosse commune. Ça va un moment…

— Je vois, dit Connie en faisant mine de prendre des notes.  Et qu’est-ce qui vous a motivé à répondre à notre annonce ?

— Ma motivation ? Elle est très simple. J’en ai marre d’être le dernier maillon de la chaîne. Maintenant, je vais chercher les pécheurs là où ils sont, je peux même les pousser au vice s’il le faut, rien de plus simple ! Votre entreprise start-up a créé une application révolutionnaire grâce à laquelle vous pouvez connaître à tout moment les états d’âme d’une poignée d’abonnés. Ces données n’ont pas de prix, et je sens, je sais que j’ai mon rôle à jouer dans cette entreprise.

— D’accord, je vois ce qui vous intéresse chez nous. Mais et vous, qu’avez-vous à nous apporter ?

— Moi ? Mais j’ai tout mon savoir-faire à vous apporter. Grâce à moi, je vous garantis que le nombre d’abonnés va monter en flèche. Tout le monde en redemandera, ils seront des millions. Par ici les profits !

— Bien, voilà qui est tentant. Poursuivons. Quelles sont vos trois principales qualités ?

Sans hésiter une seconde, l’homme se pencha sur le bureau de Connie pour répondre :

— Primo, la chaleur humaine, comme vous l’aurez certainement remarqué. Je laisse rarement mes interlocuteurs indifférents, de quoi rallier une large clientèle. Deuzio, je suis malin. Au moindre problème, comptez sur moi pour trouver une solution. Et tertio : je sais jouer sur les cordons de la bourse. Confiez-moi un budget et j’en ferai des merveilles, vous verrez.

— Et vos principales faiblesses ?

— Laissez-moi réfléchir… À part une malice pouvant parfois jouer des tours, je crois que je n’en ai pas !

Connie nota rapidement sur sa feuille : « Ego surdimensionné, les boss Adamborg et Evanna vont l’adorer ».

— Bien, je pense que nous pouvons arrêter là. Nous n’aurons rien de mieux aujourd’hui. Je vais vous donner ce papier qui vous permettra de passer à l’entretien avec mes supérieurs hiérarchiques. Mais je peux d’ores et déjà vous dire qu’au vu de votre profil et du contenu de cet entretien, vous êtes embauché ! Et elle lui serra chaleureusement la main.

— Parfait, ma petite Connie. Ça c’est du bon boulot. À partir de maintenant, considérez tous vos vœux comme exaucés.

***

Quelque part, au fin fond du neuvième cercle des enfers

Deux démons sont assis en équilibre précaire sur un tas de crânes. À quelques mètres d’eux, une marmite glougloute. On voit quelques membres en dépasser : ici une main aux ongles peints, là une paire de jambes rappelant les étals des charcutiers ibériques.

— Dis, Murdoch, tu crois que c’est du sérieux cette histoire du boss qu’a lâché les commandes ? dit le premier d’une voix rocailleuse.

— Ah, je sais pas trop, je crois que c’est du lourd, ouais. C’est Asmodée du premier cercle qui l’a dit à Yog-Sothoth. Et c’est Baalzéphon qui me l’a ensuite répété. Tu vois, c’est pas rien, hein ?

— Ouais, et alors qu’est-ce qu’il va bien pouvoir faire là-haut ?

— La vraie question, c’est plutôt, qu’est-ce qu’on va faire nous ici ! Tu te rends compte un peu ? T’as vu qui c’est, nos voisins de cercle ? Tu crois que sans le boss ils vont se tenir à carreau ?

Le deuxième ne répondit rien. Un blanc qui ne trahissait pas vraiment une gêne, mais plutôt une absence totale de pensées.

— Enfin tu vois quoi, reprit Murdoch, c’est peut-être nous qui devrions trembler face à cette nouvelle. Les autres, là-haut, ils avaient pas besoin du boss pour faire n’importe quoi, seulement, maintenant qu’il y est, tu crois qu’il va se passer quoi ?

Le visage du deuxième s’éclaire. Une idée ! Chose rare dans ce monde de brutes.

— Eh ben… Euh, il va nous envoyer plein de monde ! dit-il avec empressement.

— Voilà, exactement. Et tu sais ce que ça veut dire, ça, si y a pas un boss pour tout chapeauter ?

— Euh, ben ça va être le bordel.

— Voilà. Tu comprends vite, mais faut t’expliquer longtemps, toi. Allez, viens, t’as entendu les cloches ? C’est l’heure de retourner au charbon.

***

Texte écrit dans le cadre d’une épreuve de recrutement. Il était demandé aux candidats d’écrire un texte d’inspiration fantasy autour du thème « And the Hells shall tremble ».

Croquis (4)


Marilyn

 

Dents blanches dévoilées. Les coins de sa bouche aux contours rehaussés d’un rouge éclatant se relèvent dans un mouvement automatique, quasi incontrôlable. Souris, ai l’air naturelle, fais comme si tu étais habituée au bonheur, et n’oublie pas de sourire avec les yeux aussi.

La statuette dorée qu’elle tient entre ses mains renvoie de multiple reflets vers son visage déjà écrasé par la puissance voltaïque des projecteurs, des taches jaune pâle, toutes en demi-teintes, venant atténuer cette accumulation de couleurs criardes qui ressortent encore plus sous l’éclairage cru.

Le blanc virginal de la robe à volants, les mille éclats des diamants à son cou, le carmin tentateur de sa boucle, le noir insondable de ses yeux et le blond platine de sa chevelure, qui pourrait s’avérer plus lumineux que l’éclairage public de certains quartiers de la ville.

Elle sourit, ne cesse de sourire. Tourne la tête ici, puis là, puis encore ici pour répondre aux sollicitations de tous les photographes, cameramen, journalistes, fans. Les muscles de sa bouche commencent à trembler, le sourire se fait rictus.

Elle descend les quelques marches de l’estrade tapissée de rouge. La voilà partie dans une tournée d’embrassades et de bises à n’en plus finir. Éblouie, elle se sent prise de vertige, le sourire s’estompe progressivement pour faire de furtives réapparitions, uniques réponses aux platitudes congratulatoires qu’on lui assène encore et encore.

Le regard se brouille, un peu perdu dans cette marée humaine qui la submerge, elle se retourne une dernière fois vers la scène. Son front brille d’émotion, ses pommettes sont rougies par la chaleur ambiante, sa bouche a perdu tout le carmin qu’elle y avait soigneusement apposé quelques heures auparavant. Hagarde, elle a tous les airs d’un ange déchu prenant lentement conscience que son heure de gloire, si intense, touche déjà à sa fin.

Un dernier flash crépite en un éclair au fond de ses prunelles étonnées. Détachant son téléobjectif de son appareil, le photographe de tabloïd remballe son matériel, satisfait d’avoir enfin obtenu le cliché qu’il lui fallait.

 

****

Image de amaianos

Laissez libre cours à votre inspiration dans les commentaires !

#AllSinners, pensées éparses


Tweetdeck

À quoi ressemblait mon Tweetdeck pendant All Sinners (et il y a d’autre colonnes encore à droite !)

Challenge

Je ne savais pas précisément à quoi m’attendre. Je m’en suis entièrement remise à l’auteur, le chef d’orchestre qui a mené l’opération de main de maître.

Au début, j’avoue avoir été un peu effrayée face à tous ces fils d’intrigues diverses et variées qui se déroulaient en simultané.

Et puis, au fil du temps. C’est devenu une habitude, les autres twittacteurs sont devenus un peu comme des compagnons de voyage, des collègues, des amis.

Il fallait être présent chaque jour pour alimenter la fiction. Je n’ai pas réussi à tout lire, mais je lisais jusqu’à saturation, ou jusqu’au moment où je pensais avoir trouvé des informations pertinentes à ajouter dans mon histoire.

Il y avait la deadline du dimanche 2 décembre. C’était la fin de l’aventure. Le dernier jour, il fallait tout remballer, ne pas laisser le personnage en plan. Creusage de méninges pour lui donner une fin digne de ce nom.

Adaptation

Pour publier l’histoire sous forme de tweets, il a fallu adapter l’écriture. Oublier les phrases à rallonge, les descriptions tout en longueur, les informations redondantes.

Il fallait trouver des phrases concises permettant au lecteur de tout de suite comprendre de quoi on parle, où on veut en venir.

Les premiers jours, je n’ai pas forcément trouvé mon rythme et j’ai fini par écrire par flashes ou salves. Pendant une demi-heure, on plonge dans les pensées du personnage. Son stream of consciousness. Parfois des pensées intimes, parfois des situations ou des actions vues à travers ses yeux.

Au fil des jours j’ai trouvé une méthode pour que ce soit plus confortable (rédaction des tweets dans un excel, rapide relecture, puis publication, un tweet par minute)

À chaque instant de ces 5 jours je me suis demandé ce qui arrivait à Alma, ce qu’elle pouvait bien avoir dans la tête. Je me suis vraiment attachée au personnage. C’en était presque grisant d’aller aussi loin dans la fiction.

Et à la fin, ça crée un manque.

Interactivité

Plus qu’une simple expérience d’écriture, c’est aussi une expérience de lecture.

Lire d’abord l’intrigue principale de l’auteur qui donne le ton. Lire ensuite les merveilleux récits des autres twittacteurs.

Ensuite, essayer de faire s’entrecroiser les histoires. Pas évident sans concertation et sans lecture exhaustive de tous les tweets, mais certains se sont vraiment très bien débrouillés là-dessus.

Convivialité

Enfin, l’idée d’avoir créé un lieu de rassemblement pour les twittacteurs, le Crying Raven Bar, a été vraiment super pour partager tous ces bons moments. Une petite communauté s’est ainsi créée.

Jeff Balek a eu une excellente idée (mais ça, on commence à avoir l’habitude ;), mais ce qui était surtout génial, c’est que c’était ouvert à tous. Cela a permis des mélanges, des histoires sur des tons très variés, des personnages différents. Quelle richesse ! Bravo et merci, Jeff. Et toute mon admiration aux twittacteurs qui ont vraiment assuré.

J’ai cru comprendre que d’autres expériences de ce genre étaient en préparation. Je suis très curieuse de suivre ça et peut-être même d’y participer !

#AllSinners – Ce qui est arrivé à Alma


HeavyRain

Voici les textes publiés dans le cadre de la Twitter Fiction All Sinners, orchestrée par l’auteur transmédia Jeff Balek. Cette expérience a été couronnée de succès.

Pour rappel, je suis entrée dans la peau d’Alma McCaffrey pendant ces 5 jours sous les bourrasques de l’ouragan Sofia.

Mercredi 28 novembre – 00 h 00

nouveau-logo-twitter-4 Brutus devait calfeutrer les ouvertures du bar en prévision de l’ouragan, mais ce bon à rien n’a pas fini.

nouveau-logo-twitter-4 En attendant, c’est le calme avant la tempête. Ou alors, ils ont tous filé au @CryingRavenBar

Mercredi 28 novembre – 08 h 30

nouveau-logo-twitter-4 Hier, au cœur de la nuit, une femme a débarqué pour prendre notre chambre d’hôte. Eve qu’elle s’appelle.

nouveau-logo-twitter-4 Elle trimbalait un gros sac noir qu’elle n’avait l’air de vouloir lâcher pour rien au monde.

nouveau-logo-twitter-4 Brutus a eu l’air de la trouver à son goût. Moi, je me méfie. Son air pas tranquille ne me dit rien de bon.

Jeudi 29 novembre – 22 h 30

nouveau-logo-twitter-4 Depuis hier, l’ouragan ne nous lâche pas. Le ciel nous tombe sur la tête. Et on a les pieds dans l’eau.

nouveau-logo-twitter-4 Les pauvres planches que Brutus a fixées sur les fenêtres du bar risquent de ne pas tenir le choc.

nouveau-logo-twitter-4 Et comme s’il ne manquait plus que ça, ce soir : plus de jus !

nouveau-logo-twitter-4 À part les sifflements du vent, le martèlement des trombes d’eau projetées par les vents violents, plus un son.

nouveau-logo-twitter-4 Comme si l’humanité avait disparu sous le déluge. Comme si une puissance supérieure voulait nous faire payer.

nouveau-logo-twitter-4 Je tends l’oreille, mais rien. Que peut bien faire Brutus ? Pas de jus, pas de console.

nouveau-logo-twitter-4 Et notre pensionnaire au sac noir, Eve ? Hier, elle est allée au Steampunk Museum. On n’a pas idée !

nouveau-logo-twitter-4 Toc, toc, toc ! Brutus ! Je peux entrer ? Encore en train de pioncer ?

nouveau-logo-twitter-4 Brutus : M’man, j’tai déjà dit de pas entrer comme ça !

nouveau-logo-twitter-4 Alma : Fiston, j’ai une mission pour occuper le vide qu’y a entre tes deux oreilles.

nouveau-logo-twitter-4 Alma : Tu sais notre « pensionnaire ». Il faut que quelqu’un fouille sa chambre.

nouveau-logo-twitter-4 Alma : Je veux en avoir le cœur net. Tu sais comment t’y prendre, hein ? Comme d’hab.

nouveau-logo-twitter-4 Brutus (mine réjouie) : OK, je m’en charge. Ça me changera des zombies…

Vendredi 29 novembre – 13 h 00

nouveau-logo-twitter-4 Quand il ne dérouille pas des zombies sur sa console, Brutus adore me rendre de petits services.

nouveau-logo-twitter-4 Travaux manuels en tous genres. Mais ce qui l’intéresse le plus, c’est les missions « spéciales ».

nouveau-logo-twitter-4 Tout a commencé quand je lui ai demandé un coup de main pour me débarrasser du corps de son père.

nouveau-logo-twitter-4 Ce vieux Mimile. C’était pas un tendre. Le petit n’était que trop content de voir son bourreau enfin refroidi.

nouveau-logo-twitter-4 Il a bien bossé sur ce coup-là. Sans lui, je crois que cette fliquette de Yumington m’aurait coffrée.

nouveau-logo-twitter-4 Sans autre forme de procès. Un vrai pitbull celle-là. Two qu’elle s’appelait.

nouveau-logo-twitter-4 Ce matin, j’ai constaté les dégâts : de l’eau dans toute la salle du bar, jusqu’à mi-cuisse au moins.

nouveau-logo-twitter-4 Quelle merde ! Brutus ?

nouveau-logo-twitter-4 J’ai mis les trucs les plus périssables en hauteur, mais faudrait pas que ça monte plus que ça.

nouveau-logo-twitter-4 Je crois qu’on va pas avoir trop le choix sur ce coup-là. Il faut évacuer.

nouveau-logo-twitter-4 Ça fait trente-cinq ans que j’y passe tous les jours de ma vie dans c’t endroit.

nouveau-logo-twitter-4 Si on part, qui sait ce qu’on retrouvera une fois ce putain d’ouragan passé. Peut-être rien.

nouveau-logo-twitter-4 Brutus ? Qu’est-ce que tu fous encore ! Descends voir ça.

nouveau-logo-twitter-4 Tu vois, planches ou pas planches, on est en plein dedans.

nouveau-logo-twitter-4 Brutus (dans le pâté) : Ben quoi ?

nouveau-logo-twitter-4 Alma : Non, mais regarde-moi ce massacre !

Vendredi 29 novembre – 19 h 00

TweetLune

Samedi 1er décembre – 17 h 02

nouveau-logo-twitter-4 Pierrot est vraiment une bonne pâte. Il a accepté de nous héberger, Brutus et moi, dans son modeste studio.

nouveau-logo-twitter-4 Pierrot : Sale temps sur #Yumington, pas vrai, Miss Alma ? Pas évident d’accéder aux infos…

nouveau-logo-twitter-4 Mais j’ai entendu qu’il y avait eu pas mal de morts, un immeuble s’est effondré, tout ça.

nouveau-logo-twitter-4 Et encore, j’crois bien que c’est seulement quand l’ouragan sera passé qu’on saura vraiment tout.

nouveau-logo-twitter-4 Y en a qu’ont disparu, et dont on n’entendra peut-être plus jamais parler.

nouveau-logo-twitter-4 Sans même savoir si leur corps traîne quelque part dans une cave inondée ou au fin fond des égouts engorgés.

nouveau-logo-twitter-4 Personne mérite de finir comme ça.

nouveau-logo-twitter-4 Ce Pierrot, toujours aussi bavard. Toujours aussi sentimental.

nouveau-logo-twitter-4 Pierrot : Mais, voilà. Ça va faire trois jours que je sors pas de c’te piaule. .

nouveau-logo-twitter-4 Me demande si ça vaudrait pas le coup d’aller voir ce qui se passe dehors. Vous seriez partants tous les deux ?

nouveau-logo-twitter-4 Je pose les yeux sur Brutus qui a l’air excité comme une puce.

nouveau-logo-twitter-4 Je lance un regard décidé à Pierrot et je hoche la tête : Allez, on passe à l’action !

nouveau-logo-twitter-4 Brutus : Ouais M’man, on y va ! Avec un peu de chance, on retrouvera cette gonzesse.

nouveau-logo-twitter-4 Moi : Et son sac plein de YuDollars… Chuis sûre qu’il y a des bons coups à se faire, vu les circonstances.

nouveau-logo-twitter-4 Dehors, la pluie semble se calmer légèrement. Le pire, ce sont les dégâts. Y en a dans tous les sens.

nouveau-logo-twitter-4 Carcasses de bagnoles déchiquetées sens dessus dessous. Immeubles délabrés aux volets explosés.

nouveau-logo-twitter-4 Au bout de quelques blocs, on tombe sur un immeuble qui s’est complètement affaissé.

nouveau-logo-twitter-4 Vu le standing du quartier, les habitants ont pas dû être évacués au préalable.

nouveau-logo-twitter-4 Des tas de vêtements dégueulasses jonchent les ruelles les plus sombres.

nouveau-logo-twitter-4 On garde nos distances de peur d’y trouver des corps, avec ou sans vie.

nouveau-logo-twitter-4 À chaque coin de rue, le désastre, la ruine, la mort.

nouveau-logo-twitter-4 #Yumington, c’était pas le paradis sur Terre. Mais avec Sofia, je crois qu’on arrive au trente-sixième dessous.

Dimanche 2 décembre – 21 h 47

nouveau-logo-twitter-4 Hier soir, notre petite expédition nous a permis de récolter quelques vivres et munitions.

nouveau-logo-twitter-4 On a même réussi à trouver du réseau pendant quelques minutes. Pierrot en a profité pour envoyer 2-3 textos.

nouveau-logo-twitter-4 Rien de bien folichon, mais c’est toujours ça.

nouveau-logo-twitter-4 Ce soir, on a remis ça. Arrivés à hauteur du boulevard Flokstrom, trois gus nous sont tombés dessus.

nouveau-logo-twitter-4 C’était louche, comme s’ils nous attendaient. Brutus n’a fait ni une ni deux.

nouveau-logo-twitter-4 Quelques droites bien senties et ils ont pris leurs jambes à leur cou.

nouveau-logo-twitter-4 À peine le temps de dire ouf et je me suis retrouvée un calibre .38 sur la glotte.

nouveau-logo-twitter-4 C’était Pierrot.

nouveau-logo-twitter-4 Pierrot : Allez, miss Alma, tu vas me dire où t’as planqué ton magot et tout se passera bien.

nouveau-logo-twitter-4 Moi : Quoi, mais de quoi tu causes, t’as perdu la boule ?

nouveau-logo-twitter-4 Pierrot : Joue pas ce petit jeu avec moi, miss Alma ! Je sais très bien ce qu’il en est.

nouveau-logo-twitter-4 Mimile m’avait tout dit avant de passer l’arme à gauche. Hein Mimile, tu te souviens de lui, pas vrai ?

nouveau-logo-twitter-4 Celui que t’as assassiné froidement !

nouveau-logo-twitter-4 Moi : Nan mais tu délires, Pierrot. C’est n’importe quoi !

nouveau-logo-twitter-4 Pierrot : Ah, tu veux jouer à la plus maline avec moi ? C’est ça que tu veux ?

nouveau-logo-twitter-4 Il pointa son calibre sur la tempe de Brutus.

nouveau-logo-twitter-4 Au fond de moi, j’étais convaincue qu’il avait pas les tripes de faire ça.

nouveau-logo-twitter-4 Un énorme boum se mit à résonner au loin.

nouveau-logo-twitter-4 Impossible de savoir ce que c’était, mais je n’étais apparemment pas la seule à être dans la merde en ce moment.

nouveau-logo-twitter-4 Le temps que je tourne la tête et une énorme déflagration me déchire les tympans.

nouveau-logo-twitter-4 Le regard étonné de Brutus me transperce avant que son corps ne s’effondre comme un tas de barbaque au sol.

nouveau-logo-twitter-4 Une mare de sang se répand autour de son crâne déformé.

nouveau-logo-twitter-4 Moi : Brutus ! Pierrot, mais t’as pété un câble, c’est pas possible. Tu crois que tu fais quoi, là ?

nouveau-logo-twitter-4 Tu penses sincèrement que c’est ça qui va me faire changer d’avis ?

nouveau-logo-twitter-4 Pierrot : Ben regarde Alma, c’est simple. Et en plus chuis sympa, je te propose une porte de sortie même.

nouveau-logo-twitter-4 Tu me files le magot, on se met ensemble et on vit une jolie petite vie de couple bien pépère.

nouveau-logo-twitter-4 C’est pas la soluce idéale, ça ?

nouveau-logo-twitter-4 Le pauvre homme a complètement perdu la boule. Emporté dans son délire, il baisse sa garde.

nouveau-logo-twitter-4 Je m’empare du cran d’arrêt que j’ai toujours sur moi, dans la doublure de ma veste.

nouveau-logo-twitter-4 Un coup de poignet précis. Une carotide sectionnée. Ça pisse le sang. Il s’étouffe en tombant à la renverse.

nouveau-logo-twitter-4 End of story.

nouveau-logo-twitter-4 Je jette un dernier regard à Brutus, son regard candide figé pour l’éternité.

nouveau-logo-twitter-4 Méfiance, je ne m’attarde pas et tourne le dos à l’espèce de boucherie qui vient de conclure ma soirée.

nouveau-logo-twitter-4 À l’heure où Sofia se retire, j’ai perdu mon bien le plus précieux.

Image de Kirrus

#AllSinners, meet Alma McCaffrey


Voici le personnage que je retiens finalement pour cette Tiwtter Fiction. Alma McCaffrey, ou Miss Alma. Elle est tenancière de bar, mais ce n’est peut-être pas sa caractéristique la plus importante…

— Ça sera comme d’hab, Miss Alma, entonna le poivrot qui venait d’installer son derrière de bon à rien sur le dernier tabouret du bar, celui tout près de la caisse.

Ah, encore un qui veut causer, encore un. Alma lui servit un picon-bière en silence. Le vieux Pierrot, elle commençait à le connaître, rien de bien menaçant, mais sa diarrhée verbale chronique tapait rapidement sur le système. Mieux valait ne pas alimenter le flot de paroles.

— Merci bien ! dit-il en levant son verre en direction de la patronne. Alors, z’avez vu ? Tout le monde en parle, non ? D’ailleurs, c’est p’tête pour ça qu’y a pas foule ce soir, hein ?

Lui aussi il veut parler de ça. Comme c’est original ! Alma s’empara de deux verres pour signifier qu’elle était plutôt occupée, pas vraiment disposée à se lancer dans une autre causerie inutile. Mais bon, on va le laisser parler un peu quand même. Après tout, c’est bien ça qui les fait revenir chez moi, au lieu d’aller trouver cette porte de prison irlandaise du Crying Raven.

— Ben, à la télé, dans les journaux, ils peuvent bien dire ce qu’ils veulent, ils sont déjà partis loin, eux. Ah ça pour annoncer la tempête y a du monde, mais tous les rats n’ont pas encore quitté le navire, pas vrai ? Sinon, on serait pas là toi, moi et les trois pékins qui comatent là-bas, dit Alma en pointant du menton trois silhouettes rabougries, visiblement imbibés d’alcools divers, variés et forts, ils ne comptaient plus ni les degrés ni les grammes.

— Vous croyez que ça va faire quel effet en ville ?

Pierrot restait prudent avec Miss Alma parce que quand on connaît son histoire, on sait qu’il vaut mieux l’avoir dans sa poche que dans son dos. C’est pas ce bon vieux Mimile, paix à son âme, qui aurait pu le contredire.

Pierrot se souvenait de cette époque, y a une vingtaine d’années. Il voyait encore le regard déterminé et la mine impassible de Miss Alma quand elle était sortie de sa garde à vue, libre de toute inculpation. Il faut dire qu’elle avait dû la jouer drôlement fine, avec les poulets. Oh, la flicaille de Yumington, c’était loin d’être le haut du panier, mais quand même, ils n’avaient trouvé aucun élément concret prouvant que c’était elle qui avait assassiné Émile, son cher et tendre époux depuis une bonne dizaine d’années. Il avait parfois la main lourde sur elle, et on ne comptait plus le nombre de fois où elle s’était pris la porte de l’armoire de toilette dans le coin de l’œil. Mais quand même, de là à ce que Mimile y reste…

C’est à partir de ce jour-là que tous les fidèles du bar s’étaient mis à l’appeler Miss Alma. Eh oui, pour s’enfiler la gnôle la plus forte et la moins chère de tout Yumington, il fallait faire les choses dans les règles de l’art. Sinon, dehors ! Le gros Brutus, véritable force de la nature, fruit de l’union improbable de Miss Alma et de sa victime, aimait jouer les videurs. Un simple sifflement de sa mère, et n’importe quel soiffard pouvait se retrouver salement amoché, le cul par terre sur le pavé humide de la rue de la Criée.

Après un long silence, Alma répondit :

— Eh ben, quelque chose me dit que ça va pas être joli joli. Il faut voir les types qui traînent dans le coin. On dirait qu’ils attendent que ça. Le moindre black-out, le plus minuscule vent de panique, et ce sera le début des hostilités. Enfin, moi ce que j’en dis…

— Z’avez p’tête bien raison, Miss Alma. Les charognards rôdent déjà dans les parages… Enfin, vous, vous avez Brutus avec vous pour vous aider en cas de coup de dur.

Miss Alma afficha une moue on ne peut plus dubitative.

— Mouais, on verra bien c’qu’on va voir.

Sur ces quelques mots, elle tourna le dos au comptoir, et accessoirement à Pierrot, pour se lancer dans son astiquage de verres quotidien.

Pierrot leva le coude pour finir son verre. Il posa un billet froissé et crasseux sur le zinc, puis tourna les talons à son tour. Un vent froid s’était levé cette nuit-là. Tous les habitants de Yumington ne parlaient que de cette tempête, et pourtant, ils étaient loin de s’imaginer ce qui allait vraiment leur tomber dessus.

All Sinners, première ébauche de perso


Armand Hobo, première idée pour la twittfiction All Sinners (non retenue au final)

Voilà trente-cinq ans que je traîne mes savates dans les quartiers huppés de Beach Bay. Mes savates, enfin ce qu’il en reste. Usées jusqu’à la corde, parties en lambeaux, je vais bientôt devoir mettre des sacs plastiques à la place pour pouvoir marcher sans trop m’écorcher. Enfin, c’est pas comme si j’avais les pieds sensibles. Corne et crasse, les meilleures défenses au monde contre les agressions extérieures.

Parfois, quand j’écoute le fond de mes pensées, j’ai du mal à comprendre comment j’en suis arrivé là. J’ai toutes les difficultés du monde à retrouver les sensations de mon passé, comment c’était avant la déchéance, le paradis perdu.

Jeune passionné de lettres enseignant à l’université de la capitale, un goût un peu trop prononcé pour les jeux d’argent. Mais à cette époque, tout le monde en voulait après l’argent, et les lettres, eh bien, inutile de dire que mon licenciement n’a pas tellement traîné. De fil en aiguille, viré par ma femme, de motel crasseux en motel pourri, j’ai encore survécu quelque temps à dormir dans ma caisse. Mais on me l’a tirée vite fait bien fait.

Et voilà qu’un soir, je me suis retrouvé là, le cul sur le bitume froid. Et rien que deux sacs de supermarché, un bouquin et trois bouteilles de gnôle pour me tenir compagnie. Aujourd’hui, c’est les mains vides que j’arpente les rues de la ville. Dans ce monde-là, les possessions vous exposent plus qu’autre chose.

Enfin, c’est bien beau de parler du passé et tout ça, mais il faut que je trouve quelque chose à me mettre sous la dent. J’ai comme qui dirait l’estomac dans les talons. La fouille de poubelle, ou détritusion, comme j’aime à l’appeler, est un art dans lequel je suis passé maître, par la force des choses.

D’abord, repérer les résidences les plus cossues, celles où les contenus mis au rebut ont le plus de chance d’être fastes et copieux. Ensuite, s’assurer qu’il n’y a aucun témoin. Cette activité n’a rien d’illégal, mais les officiers de la police de Beach Bay ne sont pas vraiment fans. Sans parler des passants qui seraient capables de vous dénoncer. Mais le pire, ce sont les collègues, ceux qui comme moi n’ont absolument plus rien. Au mieux ils viendraient me parasiter, manger sur mon dos, et sinon, ils seraient tout aussi capables de me mettre au défi pour récupérer le précieux butin. On raconte que certains y sont passés de cette façon. Bagarre en bonne et due forme autour d’une poubelle ventripotente.

Une fois que la voie est libre, il faut faire preuve de méthode pour travailler vite et bien. Un coup d’œil global pour juger des zones les plus riches du conteneur. Parfois, le fond ne recèle rien de bon, inutile de s’embêter à tout défaire. J’attaque souvent par les côtés, ce qui permet d’atteindre une certaine profondeur sans perdre trop de temps à la surface.

Passons les détails techniques. Deux ou trois poubelles plus tard, j’avais trouvé de quoi calmer mon estomac, juste assez pour aller retrouver Hillbilly. Il était, comme à son habitude, étalé comme une crêpe à côté du salon de thé le plus chic de la ville. Les bourgeoises qui y avaient leurs habitudes finissaient rarement leurs assiettes. Si on veut être mince comme toutes ces starlettes de Dolltown, quelques privations ne sont pas si chères payées.

— Alors, Hobo, quoi de neuf ?

— Oh, rien de plus qu’hier et rien de moins que demain.

— T’as trouvé de quoi aujourd’hui ?

— Pour le ventre oui, mais pour la tête, pas vraiment. Pas lu une seule ligne aujourd’hui, dis-je d’un air dépité. Et toi ?

— Moi, c’est bon sur tous les tableaux. Tu veux que je t’en donne un bout ?

— Carrément. Qu’est-ce que t’as aujourd’hui ?

— Les trois premières pages du Yumington Post.

J’écarquillais les yeux.

— Vraiment ! Excellent. Fais voir, fais voir.

Hillbilly me tendit un papier chiffonné qui de loin aurait ressemblé à un truc informe, mais l’encre noire se détachait clairement sur le fond blanc. On pouvait y lire des articles entiers.

Je parcourus les gros titres.

— Et toi tu ne me dis rien ? C’est marqué là, en énorme : UN OURAGAN ARRIVE, TOUS AUX ABRIS et toi, tu pipes pas un mot ?

***

Image de Franco Folini

All Sinners, la série sur Twitter


Petite note qui expliquera la teneur de mes prochains billets

All Sinners est une twitt’fiction signée Jeff Balek, auteur transmédia.

En quoi cela consiste ? Le principe de base est très simple : il s’agit de jouer un personnage dont l’histoire se déroule dans l’hyperville de Yumington, invention de Balek où il a déjà situé deux séries trépidantes : Le Waldganger et Les aventures d’Ockham Stryker.

Toute l’histoire va se déployer en temps réel, principalement via Twitter. Tout est expliqué ici.

C’est le 28 novembre que tout commence avec un ouragan qui, à mon avis, ne va pas nous laisser indemnes !

Pour s’inscrire, il suffit de choisir le nom de son personnage et son métier.

Ensuite on s’abonne aux comptes Twitter @AllSinnersSerie et surtout @YumingtonNews pour connaître les actualités dont il faudra tenir compte dans nos récits/images/audios.

En s’inscrivant, on ne peut pas vraiment savoir ce qui nous attend, et c’est toute la beauté de la chose. Alors, vous aussi, vous laisserez-vous tenter par cette aventure novatrice et collaborative, comme moi ?

Soir de tempête


Je monte les escaliers qui craquent pour m’aventurer dans le long couloir mal éclairé. La troisième porte à gauche, m’a-t-on dit. C’est là que je trouverais de quoi me rafraîchir, ou plutôt me réchauffer, après avoir subi les assauts de trombes d’eau projetées en tous sens par un vent violent. Le bruit de mes pas est étouffé par le tapis rouge recouvrant l’antique parquet. Téméraire, je m’avance. C’est que, je n’ai jamais vraiment été très à l’aise dans cette maison vétuste. Elle a l’air surdimensionnée pour ce vieux couple de voisins.

Les conditions diluviennes sont d’ailleurs la seule raison pour laquelle j’ai consenti à y mettre les pieds. Rester sur la route aurait été autrement plus risqué. Et il se trouve que je tiens suffisamment à la vie pour supporter de pénétrer en ces lieux. Je suis les instructions du médecin à la lettre : « Surtout, ménagez-vous, sinon, c’est la fausse-couche assurée ». Quitte à côtoyer de vieux grincheux donc.

Les pensées se bousculent si vite dans mon esprit que j’ai soudain un doute. La troisième porte à gauche, ou à droite ? Je crois que c’était à droite, tout compte fait. Je saisis la poignée d’une porte à la peinture écaillée. Un sinistre grincement m’accueille. Voilà qui me laisse imaginer le pire. Que vais-je trouver dans les confins de cette vieille bâtisse ? Un terrible secret ? Les traces d’agissements répréhensibles ? Pire, un corps sans vie ? Mon sang ne fait qu’un tour.

Emplie d’inquiétude, je passe le seuil et suis soulagée d’échapper à une mise en scène horrifique ou sanguinolente, tout droit sortie d’un de ces films d’horreur que j’affectionnais tant, avant. Ici, le temps semble s’être arrêté dans les années soixante-dix. Au carreau de la fenêtre, les sonorités irrégulières d’une pluie battante rythment mes découvertes.

Dans l’angle, préservé des nuisances sonores extérieures et intérieures, se dresse un petit lit à barreaux orange – le matelas intact. Se détachant du mur opposé, une commode d’un vert intense surmontée d’un douillet matelas à langer attendant apparemment les allées et venues d’une petite créature accompagnée de sa mère – il attend toujours. Tout près de la porte, un fauteuil à bascule violet, pour toutes ces nuits où il faudrait consoler l’enfant, dans la douceur, la patience, le mouvement régulier qui apaise, ramène au sommeil – mais n’a pas l’air d’avoir souvent rempli son office. Au sol, un épais tapis à grosses fleurs, capable d’étouffer le bruit mat de ses premières évolutions à quatre pattes, et sait-on jamais, d’amortir de malencontreuses chutes – la pureté et la consistance de ses poils trahissent son état quasi neuf. À la fenêtre, des rideaux aux motifs ronds et contrastés, pour que même la nuit, la joie d’une vie nouvelle imprègne la pièce – ont-ils jamais été tirés ?

Je tente de m’imaginer le rire cristallin d’un enfant dans cette pièce, ou les échos de ses cris suraigus, de joie ou d’agacement. Telle idée semble particulièrement déplacée. Submergée par le vide, le manque, la solitude qui transpirent par toutes les fibres de cette chambre, je pars à reculons, discrètement, de peur d’avoir par mon intrusion bouleversé un ordre des choses qui, si triste soit-il, n’a plus vocation à être dérangé. Je me retourne et au lieu de trouver face à moi la salle d’eau à l’origine de ma venue, je tombe sur elle.

— Je voulais m’assurer que vous trouviez tout le nécessaire. Est-ce que tout va bien ?

Panique. Que dire ? A-t-elle vu que je n’avais pas encore mis les pieds dans la salle d’eau ? Je tente le tout pour le tout.

— Oui, parfaitement. Il ne fallait pas vous déplacer. Je suis juste un peu lente ces derniers temps.

— Très bien, un thé bien chaud vous attend en bas. À tout à l’heure.

Sous des airs avenants, ces derniers mots sont prononcés sur un ton autoritaire qui m’alarme quelque peu. Je sèche mes cheveux mouillés et m’asperge le visage d’eau chaude dans la précipitation. Il faut que je quitte ces lieux, et sans tarder. Arrivée en bas, je suis contrainte d’avaler leur satané thé. Le vieux couple m’assomme de considérations oiseuses sur la pluie et le beau temps. J’opine du chef de temps à autre pour faire bonne figure. D’un bref coup d’œil, je réalise que la porte d’entrée est soigneusement verrouillée, et que toutes les lumières du jardin sont désormais éteintes. J’ai du mal à suivre le fil de leurs bavardages, le sens de leurs mots m’échappe, le son de leurs voix s’éloigne progressivement. Ma tête a subitement l’air trop lourde pour mes épaules, mes paupières ne répondent plus à mes commandes et se ferment, encore et encore. Il faut que je…

***

Libération daté du 17 octobre 2012, pages Société

Fœtus disparu

Le corps d’une femme enceinte a été retrouvé sans vie dans la forêt de Rambouillet le mardi 16 octobre au matin. Elle a visiblement fait l’objet d’une césarienne avant de trouver la mort. Les enquêteurs cherchent toujours l’enfant.

Pied de page

Texte écrit lors de l’atelier de Carole Lilin sur le thème « Un lieu, un personnage »
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Image de Adam Sacco | Vacancy Media

Croquis (3)


 

Chairs plaquées contre la vitre. Corps à l’épreuve, concentration totale, visages fermés, chacun sort de son être. Des sourires pincés naissent ici et là pour conjurer le ridicule de la situation. Roues accablées. Craquements des rails. Regarder ses pieds, le plafond, ses pieds… Tout pour ne pas croiser le regard de l’autre.

Odeurs à hauteur de narines. Chewing-gum mentholé de la grande blonde au collier de perles. Peau imprégnée de tabac du petit brun en chemise noire. Vague odeur de sueur encore dissimulée par les déodorants parfumés.

Une blonde potelée à lunettes se sert de son Sophie Kinsella comme d’un éventail. Au fond, une black coquette en fuchsia trifouille dans son sac, comme pour se donner une contenance.

Coup de frein. Un flot humain se déverse tandis qu’un autre embarque. Le compartiment tangue au gré des mouvements de foule.

Lui, il dort. Imperturbable. Tumulte, bousculades, flashes jaunâtres, rien ne semble pouvoir l’atteindre, protégé qu’il est par une chape de sommeil. Désarticulé, son corps d’enfant pend mollement de part et d’autre du torse de son père qui le porte au sommet de l’escalator.

 

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Croquis élaboré pour un après-midi stylistique de la SFT avec Hédi Kaddour.

Image de *Tom*